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5.3.06

Sortir des "Lumières " éteintes

Si l’on peut dire que l’idée de progrès naît chez les « philosophes éclairés » des "Lumières", il semble plus à propos de parler d’idéologie du progrès voired’idole du progrès, car elle prend la forme d’une religion moderne, le "modernisme". En effet cette idée opère un renversement historique radical et totalement inédit, elle se pose en « mouvement continu du moins bien vers le mieux », vers le Bien absolu. En cela cette idée est proprement radicale et révolutionnaire: l’Age d’or ne nous précède plus, il nous suit et conséquemment, l’obligation morale se déplace, nous forçant à faire face à l’avenir, à aller dans son "sens". Sens de la révolution française, sens de l’histoire des Marx et consorts qui s’établit le plus paradoxalement du monde en URSS au moment même où la 1ere guerre mondiale démontre le véritable sens du progrès et annonce des lendemains qui déchantent.Mais le progressisme n’est pas l’apanage des seuls gauchistes, il est surtout l’hymne du libéralisme, dans l’économie en général et particulièrement dans l’industrie et la technique, dont l’essence même est de fuire toujours plus en avant pour se nourrir elle même.Les dramatiques conséquences de l’idéologie progressiste dans les principaux domaines de la vie des hommes sont bien connues; il n’est toutefois pas inutile de les rappeler rapidement (et bien entendu de manière non exhaustive car c’est le principe même de cette idéologie que de toucher à tout ce qui est humain).Au niveau politique, l’établissement de régimes totalitaires et progressistes (ce qui revient au même) a abouti à l’extermination industrielle. Les progrès de la technique amènent des catastrophes plus ou moins naturelles (réchauffement de la planète, marées noires, ...) et accessoirement à la possibilité pour l’humanité de s’éradiquer elle-même grâce à la bombe.L'économie nous permet désormais l'égalité de tous dans la misère, et enfin l'idéologie progressiste au plan spirituel ne commet rien d'autre que le meurtre de Dieu. Idolâtrie assassine!Enfin de compte le progrès nous mène au nihilisme généralisé, à l'individualisme de masse, à l'abolition de l'avenir, à la fin de l'histoire (et de son sens) au profit d'un vague devoir de mémoire, toutes ces choses n'étant en réalité que la fin de l'homme en tant que tel.Peut-être cela explique-t-il ce qu'il faut comprendre par "bougisme". En effet, en tant que l'avenir n'est plus, que nous n'allons plus nulle part, ne reste finalement de la "prouesse de salut dans et par le mouvement en avant perpétuel" que le mouvement perpétuel, absurde par hypothèse (car sans but: cf. "En attendant Godot de Beckett).Ainsi va le monde d'aujourd'hui qui ne connaît que le mouvement, "le bougisme", comme valeur, et qui se traduit concrètement dans des dynamiques insensées: le ludique, le fun qui répondent parfaitement à l'angoisse du vide de la société contemporaine: s'occuper à ne rien faire d'important: du roller, du tourisme. Activités des esclaves du portable, adepte de cette forme de nomadisme moderne en quête de non-racines, en non-quête finalement.Activité absurde et désespérée qui semble se suffire à elle-même.

à lire:

Pierre-André Taguieff, "Resister au bougisme", Mille et une nuits
Pierre-André Taguieff, "Du progrès", Librio

source: http://www.cjb-assas.new.fr/