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30.1.07

Le pari de la décroissance


Par Pierre Lafarge

Les royalistes auraient tort de ne pas entamer un débat sérieux avec les partisans de la décroissance et notamment avec la pensée iconoclaste de Serge Latouche. Ils préfèrent les trains Corail aux TGV, le vélo à la voiture, l’agriculture biologique aux poulets transgéniques. Pour autant ce ne sont pas que de simples bobos ou des écologistes lambda. Intellectuels mordants, plus réalistes qu’utopistes, voilà les décroissants ! Opposés au « développement durable », dans lequel ils ne voient qu’un gadget cache-sexe au service de l’industrie et du libéralisme, ils ont développé une critique radicale de la société de consommation. Leur ennemi : « l’idéologie de la croissance », celle qui, partie de nos sociétés occidentales, étend désormais sa domination sur l’ensemble du monde contemporain. Les décroissants sont persuadés que la croissance n’est pas inéluctable : « La croissance économique, écrit Paul Ariès, est un choix que fait une société : de la même façon qu’il a fallu discipliner les prolétaires pour en faire de bons salariés, il a fallu discipliner les ménagères pour en faire des consommatrices. Il ne peut y avoir de croissance économique que parce que nous acceptons d’être des forçats du travail et de la consommation. »

Gauche anti-totalitaire
Intellectuellement, le courant décroissant provient de la gauche anti-totalitaire : ils ne cachent pas leur dette à l’égard de Claude Lefort ou Cornélius Castoriadis, qui taillèrent dès les années 1950 des croupières au stalinisme dans leur revue Socialisme et Barbarie. Ils revendiquent également d’être les héritiers de penseurs atypiques de l’écologie, comme le juriste protestant Jacques Ellul ou l’inclassable Ivan Illich. S’ils ne nient pas une influence marxiste, les décroissants s’en détachent lorsqu’ils proclament, comme Maurras, le primat du politique : « La décroissance se veut avant tout un refus de toute nécessité, affirme Paul Ariès, car nous croyons que les seules lois valides sont les lois politiques et non économiques. (…) L’issue planétaire passe donc par un retour au politique » Le terme de décroissance remonte aux années 1970 et à l’œuvre d’un économiste roumain, Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), intitulée Demain la décroissance : entropie-écologie-économie. Au début des années 2000, des activistes issus des « Casseurs de pubs » (Vincent Cheynet, Bruno Clémentin) et des intellectuels comme Paul Ariès ou Serge Latouche ont lancé un véritable courant décroissant en France, avec sa revue bimestrielle en kiosque nommée tout simplement :
La Décroissance. Le journal de la joie de vivre. Ils opposent la « décroissance soutenable » au « développement durable ». Politiquement ils n’ont trouvé de l’écho que dans un courant des Verts, celui du député et ancien ministre Yves Cochet, officiellement rallié en juillet 2006 à la décroissance. De nombreux autres Verts, « progressistes », demeurent néanmoins fortement opposés à la décroissance.


Anti-progressisme
La Nouvelle droite païenne d’Alain de Benoist, via la revue Eléments (1), s’est ralliée à la décroissance, provoquant une polémique et entraînant les dénégations empressées de Paul Ariès. Il semble pourtant difficile de ne pas rapprocher l’œuvre d’Heidegger où les tiers-mondistes et ethno-différentialistes d’Alain de Benoist de certaines préoccupations des décroissants (ils défendent la « diversité culturelle »). Sur le plan réactionnaire comment ne pas penser également au roman Ravage de René Barjavel (publié en 1943), avec sa vision catastrophique d’une sortie du machinisme et d’un retour à la terre.

Si les royalistes et les promoteurs de la décroissance peuvent se retrouver, c’est d’abord sur le clair rejet du dogme du Progrès qui leur est commun. Si plus grand monde ne croit encore, aujourd’hui, au Progrès, comme l’a bien montré dans ses travaux Pierre-André Taguieff, nos politiques, coupés du réel n’ont que ce mot passe-partout à la bouche : progrès social, progrès économique… Apparue au XVIIe siècle (2), l’idéologie du Progrès est indissociable de la pensée des Lumières et de ses héritiers libéraux ou totalitaires. Paradoxalement, beaucoup de décroissants, enfermés sur ce point dans leurs certitudes, se pensent encore en héritiers du libéralisme philosophique des Lumières… Royalisme et décroissance Par leur opposition déjà ancienne à la malbouffe (campagnes contre les restaurants MacDonald à Lyon dès le début des années 1990), par leur souci écologique légué par Maurras, par leur critique de la société de consommation et du spectacle, les royalistes rejoignent nombre de préoccupations de la pensée décroissante. Leurs approches de l’organisation économique, méfiantes envers l’Etat autant qu’envers le capital, procède d’intentions similaires. Certains se rappelleront qu’il y a quelques années, Serge Latouche, alors animateur du Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (MAUSS) avait pris la parole dans un cercle royaliste parisien (celui de la revue Immédiatement).
Les actuels travaux du Cercle Jacques Bainville (3) vont également dans ce sens (voir le numéro de Valeurs actuelles du 19 janvier dernier). Même si de sérieuses divergences politiques subsistent, un dialogue entre décroissants et royalistes ne peut être que productif. Parmi les décroissants, Serge Latouche demeure le plus intéressant pour sa critique politique assez radicale du système démocratique contemporain, ce qui n’est pas du goût de tous dans son propre camp : « Réfléchir sur la démocratie aujourd’hui sans remettre radicalement en cause au préalable le fonctionnement d’un système dans lequel le pouvoir (donc le politique) est détenu par les « nouveaux maîtres du monde » est au mieux un vain bavardage, au pire une forme de complicité avec le totalitarisme rampant de la mondialisation économique. Qui ne voit pas que, derrière les décors de la scène politicienne et la farce électorale, ce sont très largement les lobbys qui font les lois ? ». De même, Latouche reconnaît volontiers qu’ « il existe un anti-utilitarisme de droite et anticapitalisme de droite (…), un antitravaillisme de droite et un antiproductivisme de droite qui se nourrissent des mêmes arguments que nous ». Affaire à suivre.


Bibliographie : de Serge Latouche, Le Pari de la décroissance, Fayard, 302 p., 19 €.
Survivre au dévellopement, Les Petits Libres - Mille et une nuits, 126 p., 2,19 €
Paul Ariès, Décroissance ou barbarie, Golias, 168 p., 15 €.

(1) : Eléments n° 119, hiver 2006.
(2) : Frédéric Rouvillois, L’invention du Progrès, Kimé, 1996.
(3) :
http://www.cjb-assas.new.fr/

2 Comments:

At 00:17, Anonymous Anonyme said...

Chers amis,

Juste quelques lignes pour revenir sur la notion de progrès.

Si dans son acception contemporaine, le Progrès renvoit à une conception humaniste héritée des Lumières, ne pensez-vous pas qu'il peut exister "différents" sens au mot de progrès ?

En acceptant d'ors et déjà que nouveauté ne veut pas dire progrès, on peut ainsi éviter certains pièges, et percevoir ainsi dans les avancées techniques son but qui est le progrès social. J'utilise à dessein l'idée d'avancées techniques, distinguant de fait les avancées "progrès" des avancées "non progrès". Mais cette fameuse idée de progrès sociale ne renvoit elle tout simplement pas à celle du bonheur et du bien commun ?

Ainsi non, je reste progressiste. Non pas à la façon des Lumières, mais en restant convaincu que le rôle de l'institution politique c'est de contribuer au progrès social, en sachant freiner ou aider les avancés techniques, dans l'ordre de la médecine, des transports, de la communication etc...

 
At 19:34, Anonymous Anonyme said...

Latouche n'appartient pas au panthéon de l'Action Française. C'est un peu casse burnes de voir traîner toutes ces conneries sur la décroissance.

 

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